25.05.2020

Libérée, déconfinée ?

Je suis nostalgique du confinement.

Cela peut choquer. Je sais. Et je suis parfaitement consciente d’être tout à fait privilégiée en disant cela. Ce n’est bien sûr que mon ressenti et j’ai bien conscience que d’autres n’ont pas eu cette chance, comme ma voisine du 8e avec ses deux jeunes enfants en bas âge.

Malgré la crise sanitaire en cours, le confinement a été pour moi une chance.

Pour moi il a été une révélation.

A vrai dire, je me suis révélée à moi-même. Le confinement m’a permis de tirer de moi le meilleur, qui était enfoui bien trop longtemps. Une sorte d’éclosion.

Avec le confinement je me suis autorisée à prendre la parole.

Avec le confinement je me suis autorisée à vivre ma solitude intensément.

Au départ, cette solitude subie m’a inquiétée, surtout après l’arrivée des symptômes; je pensais même à regagner la maison familiale.

Puis, peu à peu, l’inconfort physique de me retrouver sans cesse assise, l’impression d’enfermement et la nécessité de sortir du studio une fois par semaine, et enfin celui mental de ne plus voir personne pendant un moment, tout cela s’est estompé.

J’ai été moi-même la première étonnée de cette capacité de résilience.

Un poids énorme s’est libéré, et mes pensées se sont déchaînées, me laissant parfois peu de répit, et je me suis mise à tout noter. Je me suis mise à vous écrire. Je me suis mise à créer. Je me suis mise à oser.

A aucun moment je n’ai senti l’ennui me gagner, car le temps était une richesse infinie à ma disposition, temps devenu si élastique que j’appris à enfin ralentir et à le savourer consciemment, à l’observer s’écouler, contemplative.

Mon discours aurait sans doute été différent si je n’avais pas été ici. Dans cet appartement. Celui à qui j’ai dédié « une lettre d’amour », cet endroit qui me ressemble, que j’ai façonné et qui me façonne, qui m’apaise et m’inspire. Plutôt casanière de nature, je l’ai métamorphosé en un véritable instinct.

Avec un peu de recul, j’ai vécu le déconfinement comme une certaine violence.

Les premiers jours de mai, je me suis sentie soudain abattue, - comme plusieurs personnes de mon entourage - un mélange d’appréhension de la fin de cet épisode si particulier et de lassitude des compagnies virtuelles (privation des sens). J’ai su seulement quelques jours avant que je devais reprendre mon travail le 5 mai.

C’est comme si je n’avais pas pu me déconfiner en douceur, pas à pas. Je n’ai pas pu mentalement m’y préparer.

Ne vous y trompez pas, cela a été un réel bonheur de retrouver mes collègues cette première semaine, magasin fermé.

Le 11 mai, tout a un peu changé.

Alors que j’avais plutôt réussi à apprivoiser le temps, me voilà à nouveau contrainte de lui courir après. Ce temps à nouveau contraint, comprimé, minuté, dépensé me sembla d’un coup singulièrement contre-nature. La confrontation à une horde « d’autres » provoqua chez moi une fatigue mentale extrême, le sommeil étant devenu chaotique.

J’en étais de nouveaux à caser des choses dans un tableau (ou agenda), le travail, les amis, les rendez-vous pour que tout « fit ».

Je me suis rapidement aperçue que quelque chose clochait. Que malgré l’excitation de revoir des humains, et parmi eux certains très chers à mon coeur quelqu’un manquait.

C’était moi.

Je ne m’entendais plus penser. Je ne m’entendais plus être. Je ne me retrouvais plus de temps pour méditer.

L’idée que le confinement m’ait fait comprendre que vivre intensément pouvait signifier vivre au nom d’une solitude choisie m’interpella.

Vivre au jour le jour en suivant son intuition, en étant guidée par ses envies semble désormais d’une douceur extrême comparée au tumulte brutal de la vie extérieure.

D’ailleurs, il est revenu récemment un lapsus très révélateur en parlant plusieurs fois à mes collègues : je faisais référence à des moments « pendant les vacances » (bon il s’avère que j’avais aussi des vacances posées pendant cette période), au lieu de dire « pendant le confinement ».

Aujourd’hui je réalise que je ne vivrais sans doute plus deux mois de solitude tout en étant en bonne santé, et sans m’inquiéter de l’aspect financier. Je réalise que ce fut un immense luxe et que, par conséquent, je dois cultiver ce qu’il m’a appris : cette solitude choisie m’est vitale et elle me rend fondamentalement libre.

Elle est nécessaire pour que je fonctionne, elle est nécessaire aussi d’une certaine manière pour les autres et pour être avec les autres.

Merci à mes voisins d’en face, qui sont la source d’inspiration de cette photographie.

Je recommanderais ainsi chaudement la vidéo de Cyrus North sur « Le pouvoir de la solitude », l’épisode « le Syndrome la cabane » du podcast Emotions, et cet article de Slate (http://www/slate/fr/190011/redouter-deconfinement-misanthrope-angoisse-solitude-relations-socilaes).

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